J’ai des souvenirs de volcans de mes vacances au sud de l’Italie.
Le Vésuve près de Naples, l’Etna en Sicile ou le Stromboli dans les îles Éoliennes.
Je ne suis pas montée pour surplomber les cratères mais j’ai vu des éruptions dans la nuit
et j'ai ressenti les secousses des profondeurs.

En arrière-plan la Méditerranée. La lave qui se mêle à la crème glacée.

Il y a aussi Pompéi avec son ciel bleu.
Les restes de l’apocalypse où les cendres ont préservé des fresques.
Dans les bâtisses, des coins et des recoins épurés.
Le vide des maisons, des allées et des amphithéâtres.
Des murs et des murets où mes pensées voyagent sans obstacles.
Mon corps explore, se tapit, s'assied, passe par des zones d'ombre et de lumière.

Je reste sur les bords et je ne creuse pas trop profondément.

Rik Peeters m’a parlé de

Gelitin, The Dig Cunt, 2007
Coney Island, New York, USA

Pendant sept jours,  jour après jour, Gelitin faisait le trajet le matin d’un petit hôtel à Times Square jusqu’à Coney Island, apportant pelles et bêches pour creuser. Parfois, des gens se joignaient à eux. Chaque soir, le trou était à nouveau rebouché, et nous reprenions le Q ou le B pour rentrer à Manhattan.

Faire un trou ou se mettre au bord d'un trou.
Sans but mais assez profond.

***

Ma gorge se sert. 

Émotions pour les personnes qui se font volcans afin d’expulser leurs peurs
et leurs souffrances du fond de leurs entrailles.
Des éruptions de trop plein qui secouent et épuisent le corps
laissant des béances et des paysages calcinés.

La colonne du Vésuve a atteint près de 30 km de haut avant d’ensevelir Pompéi.

Je pense au cri de Munch mais, à regarder l’image,
l’hurlement n’est pas une éruption explosive.
Le flot silencieux semble à la fois sortir et entrer dans la bouche dilatée.  
Les poumons puisent et régurgitent des cauchemars qui sont partout dans l’air environnant.

Pas d’éruption libératrice.
 Le dedans est dehors
 Le dehors est le dedans.


Je flotte sur le dos. Mes omoplates sont mes yeux tactiles.
Les formes sont bien au chaud dans le cratère comme mes pieds que j’enroule dans ma couette.

Ne plus remplir 
Ne plus vider

Alternance du reflux qui creuse les parois. 

***

Je ne suis pas sûre du ton de mes textes.
Je préférerais quelque chose de moins dramatique,
mais lorsqu'il s'agit de déesses, mon corps,
enraciné dans le sud de l'Italie et dans les Alpes, se connecte au cosmos.

Je pense maintenant à la façon dont la Méditerranée s'évapore.
Une éruption invisible et tiède qui s'élève haut dans le ciel
et se heurte à des masses froides et descendantes.

Cumulonimbus. Des formes énormes qui craquent.

L'Espagne où la pluie torrentielle s'est brisée sur l'asphalte et les sols secs épuisés.
Inondations s'engouffrant dans le piège des parkings souterrains.

Terre et eau séparées par des murs. 
Déesses en cage. Ce sont elles qui tuent, ou est-ce nous ?

Excaver pour que ma respiration devienne plus ample.
Laisser l'air se dilater, irriguer mes cellules et les poils de mon pinceau.

Faire de l’espace.

Shitao. Dictons sur la peinture du moine Gourde amère (dynastie Qing)

La mer possède l'immense élan, la montagne la dissimulation latente.
La mer avale et vomit, la montagne se prosterne et s'incline.
La mer peut manifester une âme, la montagne peut transmettre un rythme.


Des temporalités multiples.
La crête des vagues, toujours en mouvement,
semble figée dans les pierres de la montagne.
Mais les montagnes dansent. Pas seulement lorsqu'elles explosent.

Pourquoi s'empresser d'occuper le sol quand les formes se contractent?

 Faire de l’espace.

***

Merci pour la douceur des lapins et pour les petites fleurs de montagne. 

Tragédie, chœurs grecs et un peu de faune et de flore

Serrer une forme contre moi quand les cauchemars se prolongent.
C’est dérisoire. C’est insuffisant.
Mais autant que ce petit bout doux et dodu reste invisible
ou qu’ils disparaissent sous ma langue comme un bout de barbe à papa.

Humide évaporation
La chaleur quitte mes aisselles
Les larmes quittent mes yeux

Mais comment ne pas céder de terrain quand on nous coupe l’herbe sous les pieds.
Comment sortir de l'ombre pour aller boire au ruisseau?

En toute sécurité

Creuser pour monter ce que l’on soustrait.
Comme ces carrières à ciel ouvert
qui exposent leurs blessures aux satellites.
Écouter avec son gras acoustique les lèvres qui ne se desserrent pas.

Vibrations, turbulences, bourdonnements, pulsations, flux d'air, odeurs, échos, ondes, fréquences, champs d'énergie

Signaux discrets pour parler aux lapins, aux fleurs et aux montagnes blessées.

Je repose mes yeux et mes oreilles. C'est le week-end.

***

Tu m’emmène en bas

Je ne suis pas sûr de cette descente suivie d'un renouveau

En même temps, je te suis dans le battement de tambour extatique.
Le crescendo qui va avec l'épuisement du corps dansant,
quand plus rien n'a d'importance et que l'inattendu surgit, y compris le démoniaque.
J'aime que nous accueillions la noirceur avec une soupe chaude.
Ce n'est pas une extraterrestre, elle est en nous et autour de nous.

Revenons au cri d'Edvard Munch,
où tout est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur,
en bas et en haut. 

Le flux et le reflux des marées et des éruptions
L'évaporation et la pluie
Rien n'est soustrait, rien n'est ajouté
L'infiniment petit et l'infiniment grand
Le cosmos dans le noyau de la terre

Polina et Cyriaque m'ont parlé hier des rats taupes nus.
Des rongeurs qui vivent à 2 mètres sous terre en Afrique de l'Est
sans jamais voir le soleil.
Quasi aveugles, sourds et glabres, ils ont une longue espérance de vie
sans être victimes de maladies dégénératives ou de cancers.
Ils vivent en communautés ayant chacune son propre dialecte.
Comme les fourmis et les abeilles, ils ont une reine qui donne naissance à leurs petits.
Mais cette reine, plus grosse que les autres, maintient un règne sans partage
en harcelant constamment ses filles et ses fils.
Le stress qui en résulte rend ces animaux stériles.
Seule la reine peut assurer la survie de l'espèce.

Pas de répit, même cachée dans les boyaux de la terre.

Dans la cavité de mon cœur, le silence de mes formes inoffensives et douces.

***

J'ai été heureux de lire l'existence de disperseurs dans la communauté des rats taupes nus.
Je les imagine, avec leurs réserves de graisse portables, s'échapper par des tunnels souterrains.
C’est peut-etre pour cela que les femmes ont des rondeurs.  
Peut-être que la graisse sert de soupape de sécurité.

Mais non. Les disperseurs sont des hommes.

Gros, gras, paresseux et sexuellement chargés, ces rares individus semblent faits pour la dispersion.
Ils évitent le travail collectif et suivent leurs pulsions.


Dans les relations abusives, c'est souvent lorsqu'une femme
tente de s'échapper qu'elle court le plus grand risque de mourir.

L’excavation comme une désertion invisible.
Ne pas attirer l’attention, ne pas s’exposer.
Creuser sous la voute de ses  pieds.  
Sans monticule de terre, sans encombrer.
Prendre de l’espace là où on ne soupçonne pas qu’il y en a.
Voyager en caressant du doigt les aspérités d’une surface.
Dessiner pour ajouter du vide à une journée aussi remplie qu’un panier de linge

Je pense à Ana Mendieta.

Je ne suis plus sûre de mon 
Rien ne se soustrait, rien ne s'ajoute

Je crois que cela vaut pour les plaques tectoniques et pour le compost dans mon jardin.
Mais les humains produisent des choses qui ne disparaissent pas.

Comme les œuvres d'Ana Mendieta 
mais aussi des tonnes de déchets inassimilables

Les choses s'additionnent et j'étouffe